Vues depuis l’arrière-front allié

À Comines, les restrictions s’alourdissent encore. Les autorités allemandes interdisent désormais toute circulation à vélo, en voiture ou en chariot dans la ville. En parallèle, elles annoncent l’achat de différents métaux au poids : cuivre, étain, fer… tout est bon à récupérer.
La brasserie Dumortier est peu à peu transformée. Les soldats en prennent pleinement possession. La remise, qui abritait des chevaux depuis novembre, doit désormais être libérée pour devenir un entrepôt à limonades. Des civils sont réquisitionnés pour le nettoyage : ils retirent deux bons pieds de fumier, mêlés de branchages, de cendres et de paille. Cela faisait des mois que rien n’avait été entretenu. Les caisses de bouteilles vides continuent d’arriver sans relâche. Au-dessus de l’écurie, les soldats qui y logent installent le gaz et ont même construit un petit balcon avec un escalier pour descendre directement dans la cour.
Du côté des commerces, c’est la pénurie. Les épiciers espéraient pouvoir partir à Courtrai chercher des marchandises, mais leurs passeports ne leur ont pas encore été accordés. Tout est reporté à mercredi. En attendant, le sel, le café, l’huile et bien d’autres produits viennent à manquer.
Pendant ce temps, plus au nord, deux prêtres — le curé de La Clitte et le vicaire de Dickebusch — montent au cimetière de leur village pour observer les lignes ennemies à la jumelle. Depuis ce point haut, ils aperçoivent clairement les premières tranchées allemandes, sans doute près du Bayernwald. Le printemps n’a rien changé au paysage : les arbres, sans feuillage, ont été dépouillés par les bombardements. À l’horizon, Ypres continue de brûler.

Dans la rue de Lille, à Ypres, la maison Merghelynck s’est effondrée. On s’active pour en extraire quelques objets de valeur, des œuvres d’art précieusement conservées dans les caves murées. Un véritable petit musée est ainsi évacué en hâte, mais une partie de ce patrimoine restera hélas prisonnier des ruines.