Première utilisation des gaz asphyxiants à Langemark.

Temps magnifique sur la plaine de Flandre, comme pour mieux souligner le contraste tragique entre la douceur du printemps et les horreurs de la guerre.
Delporte Jean-Baptiste a reçu un laissez-passer pour se rendre à Menin afin d’y chercher les saintes Huiles. Il emprunte pour ce faire la route de Comines à Halluin, plus accessible. Sur le chemin du retour, il profite du rétablissement des tramways à vapeur mis en circulation par les autorités allemandes, et grimpe dans le train de Bousbecque à Comines.
Pendant ce temps, Georg Lill, témoin lucide de la vie à l’arrière, assiste avec amertume à la remise de décorations à des hommes confortablement éloignés du front. Ceux qui vivent la guerre au plus près, dans la boue des tranchées, n’ont guère d’espoir sinon celui qu’une grenade abrège leurs souffrances.
Dans la région, les mouvements de population se poursuivent : une partie de Quesnoy est évacuée. Plus au nord, au Touquet, les King’s Own font sauter une mine près d’une barricade ; en représailles, les Allemands bombardent violemment les environs, touchant notamment l’église du Bizet.
Mais c’est à Ypres que l’horreur atteint un nouveau sommet. La Deuxième Bataille d’Ypres débute dans le fracas et la stupeur : à 17h24, les téléphones de campagne sonnent à l’unisson sur les lignes allemandes du secteur Bikschote-Langemark. À 18h précises, un rideau jaunâtre s’élève, émanant de 5.730 bombonnes de chlore soudain ouvertes. Les nuées mortelles s’abattent sur les tranchées tenues par les troupes nord-africaines à Steenstraat, semant la panique. Dans une fuite désespérée, ces soldats courent droit dans les volutes de gaz qui les asphyxient.
En quarante minutes, les régiments d’infanterie allemands 213 à 216 avancent de quatre kilomètres, capturant soixante pièces d’artillerie et cinq mille prisonniers. Le manque de cavalerie, quelques tirs d’artillerie mal orientés et la résistance héroïque de certaines compagnies alliées empêchent les Allemands de transformer cette percée en effondrement général.
Il faut noter que cette attaque au gaz devait initialement avoir lieu dès le 10 mars sur la Côte 60. Faute de vent favorable, l’opération avait été ajournée, pour finalement se concrétiser ici, au mépris manifeste de la convention de La Haye de 1889 interdisant les armes chimiques.
L’onde de choc est immense : pour la première fois, la guerre moderne révèle une de ses armes les plus effroyables — le gaz toxique. Et si les lignes alliées plient sous l’impact, elles ne cèdent pas complètement. L’avancée allemande est contenue, et la bataille, entamée dans les gaz et la surprise, se poursuivra âprement jusqu’au 25 mai.
