Une ballade à Ostende.

Beaucoup de lueurs apparaissent la nuit vers Gheluvelt, accompagnées d’une fusillade ; des projecteurs fouillent le ciel du côté de Hollebeke. Malgré le beau temps dont nous ne pouvons guère profiter, les esprits se troublent et le découragement gagne beaucoup de monde. Grâce à Dieu, nous restons un peu philosophes, et, un jour après l’autre, nous espérons sortir de là.
De nouvelles affiches paraissent :
- Tout propriétaire de plus de 10 kg de fruits non déclarés s’expose à une amende de 20 francs ;
- Il est défendu de récolter fruits et pommes de terre ;
- Il est rappelé qu’il est interdit, sous peine de mort, de communiquer avec les Alliés, et que toute correspondance doit passer par la Kommandantur, sans quoi porteur, expéditeur et destinataire sont punis.
Aujourd’hui, la 5e Compagnie fait une excursion à Ostende. Georg Lill est du voyage et relate sa journée :
Nous quittons la gare de Comines à 6 heures du matin en direction d’Ostende. Nous traversons une plaine magnifique, fertile, parsemée de villages et de hameaux. Partout, des habitants rentrent les pommes de terre. Dans la région de Roulers, je remarque des gens occupés à la coupe du tabac. Dès 7 heures du matin, femmes, filles et jeunes garçons sont assis dans les champs pour enfiler le tabac. Et, le soir, sur le chemin du retour, ils se trouvent toujours là, au même endroit. À voir leurs gestes et leurs signes amicaux, on comprend qu’ils souhaitent notre passage.
Dans les champs, des tombes de soldats rappellent les combats. De simples croix blanches, entourées de petites clôtures peintes, marquent ces lieux de repos. Souvent, des géraniums rouges fleurissent dessus et les distinguent nettement au milieu des cultures.
Dans chaque gare, l’activité est intense. Partout s’entassent le ciment et les pierres. En approchant de la mer, la terre prend une teinte grise, et le niveau de l’eau s’élève. Des ballons captifs et des avions apparaissent dans le ciel : la mer est proche.
À 9 h 30, nous arrivons à la gare de triage d’Ostende. Là encore, les habitants s’activent à divers travaux. Nous marchons rapidement à travers la belle ville blanche, jusqu’à ce que, soudain, la mer surgisse, immense, écrasante. Ce spectacle reste gravé dans ma mémoire.

Sur les flots, quatre torpilleurs défilent avant de regagner le port. Je m’allonge sur la plage et prends un bain. L’eau me semble glaciale d’abord, mais après quelques plongeons je me sens à l’aise. Pendant une demi-heure, je nage comme un poisson. Puis je me rhabille et me promène, dans l’espoir d’apercevoir les fameux sous-marins. Mon souhait se réalise vite : l’un d’eux émerge soudain. D’abord, seule la tour de commandement perce la surface, puis peu à peu tout le bateau de près de 80 mètres s’élève, escorté de trois torpilleurs. Bientôt, un second, plus petit, se montre aussi. Le grand est peint d’une couleur qui rappelle l’écume, le petit, noir, porte deux larges bandes argentées.

Je poursuis ma marche dans la ville, passe devant le monument au roi Léopold, un bloc de marbre représentant le souverain à cheval, puis me dirige vers les installations du port. Là, j’observe encore les sous-marins et d’autres navires de guerre.
À 14 h, le train nous conduit vers Bruges, l’ancienne cité, riche de peintures des XVe et XVIe siècles. La beauté de ses vieilles pierres fascine, mais sa population pauvre s’empresse autour de nous avec cartes postales, poires, pommes et chocolat : la faim domine tout.
À 17 h, nous quittons la ville pour rentrer. Sur le chemin, des bandes d’enfants se pressent autour du train ralenti, criant : « un peu de pain, mon seigneur ! », ou, pour les plus petits, « un petit morceau, camarade ! ». Ils reçoivent les restes de la troupe, jetés par les fenêtres. Ainsi, la faim accompagne la guerre comme un fidèle compagnon.
À 20 h, nous rentrons enfin à Comines, heureux et fatigués.